Note de lecture de l’Exhortation apostolique du pape Léon XIV

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Dilexi te (« Je t’ai aimé » – cf. Ap 3,9)

Sur l’amour envers les pauvres

Depuis son élection le 8 mai 2025, le choix du nom de Léon XIV et ses premières paroles ont immédiatement inscrit son pontificat dans la continuité de la doctrine sociale de l’Église. L’Exhortation apostolique qu’il vient de signer cristallise deux principes fondamentaux de ce corpus : l’option préférentielle pour les pauvres et la destination universelle des biens de la terre. Toutefois, comme le souligne Andrea Tornielli, directeur éditorial des médias du Vatican, « il ne s’agit pas d’un texte de doctrine sociale de l’Église ». À travers les lignes qui suivent, nous proposons une petite note de lecture de ce document magistériel.

Signée le 4 octobre 2025, en la mémoire de saint François d’Assise, Dilexi te (« Je t’ai aimé » – Ap 3,9) est une Exhortation apostolique composée de 121 points, structurée en cinq chapitres : 1. Quelques paroles indispensables. 2. Dieu choisit les pauvres. 3. Une Église pour les pauvres. 4. Une histoire qui continue. 5. Un défi permanent. Ce plan révèle d’emblée que les pauvres occupent une place centrale, tant dans le cœur de Dieu que dans l’histoire et la mission de l’Église. L’attention et le soin envers les pauvres demeurent un défi constant. Jésus lui-même l’affirme : « Les pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Marc 14,7).

Pour mieux comprendre la genèse de ce texte, il faut revenir à la lettre encyclique Dilexit nos sur l’amour humain et divin du Cœur du Christ, datée du 24 octobre 2024. Le pape François avait préparé, quelques mois avant sa mort, une Exhortation sur l’attention de l’Église envers les pauvres, intitulée Dilexi te. Le pape Léon XIV affirme avoir reçu ce projet déjà bien avancé et se dit heureux de le faire sien, en y ajoutant ses propres réflexions. Il partage ainsi le désir de son prédécesseur : que les chrétiens perçoivent « le lien fort qui existe entre l’amour du Christ et son appel à nous faire proches des pauvres » (n°3).

Ce message s’inscrit dans une tradition vivante. L’auteur montre que l’Église manifeste depuis ses origines une attention constante envers les pauvres. Face à l’accroissement des inégalités et à l’émergence de nouvelles formes de pauvreté, il appelle à écouter le cri des pauvres, en s’identifiant au Cœur de Jésus, attentif aux besoins de ses enfants. « Nous ne devons pas baisser la garde face à la pauvreté » (n°10). De manière concrète, vers la fin de l’Exhortation, le pape propose la pratique de l’aumône, qui selon saint Ambroise « est le rétablissement de la justice, et non un geste paternaliste ».

Ce regard critique s’étend aussi à l’économie contemporaine. Pour le pape, « certaines règles économiques se sont révélées efficaces pour la croissance, mais non pour le développement humain intégral. La richesse a augmenté, mais avec elle les inégalités ; et ainsi, de nouvelles pauvretés apparaissent » (n°12). Dilexi te est donc un cri du cœur pour que l’Église, « mère des pauvres », demeure proche des pauvres, entraînant le monde avec elle.

Enfin, le texte s’appuie sur l’histoire de l’Église pour affirmer que les pauvres sont les « trésors de l’Église » (saint Laurent) et les « maîtres d’Évangile » (Léon XIV), à travers lesquels nous pouvons rencontrer Dieu. Pour saint Augustin, le pauvre n’est pas seulement une personne à aider, mais la présence sacramentelle du Seigneur. Et pour saint Basile, pour être proche de Dieu, il faut être proche des pauvres. Il est donc de notre devoir de prendre soin d’eux de manière préférentielle, en mettant à leur disposition les richesses qui appartiennent à tous.

Premier chapitre : Quelques paroles indispensables

Ce premier chapitre, à caractère introductif, nous rappelle qu’il existe de nombreuses formes de pauvreté : celle de ceux qui n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins matériels (manque de nourriture, d’eau, malnutrition) ; la pauvreté de ceux qui sont socialement marginalisés et n’ont pas les moyens d’exprimer leur dignité et leurs potentialités ; la pauvreté morale et spirituelle ; la pauvreté culturelle ; celle des personnes en situation de faiblesse ou de fragilité, qu’elle soit personnelle ou sociale ; enfin, la pauvreté de ceux qui sont privés de droits, de place ou de liberté.

Pour le pontife romain : « Doublement pauvres sont les femmes qui souffrent de situations d’exclusion, de maltraitance et de violence ». Le pape conclut ce premier chapitre en affirmant : « Il n’est pas possible d’oublier les pauvres si nous ne voulons pas sortir du courant vivant de l’Église qui jaillit de l’Évangile et féconde chaque moment de l’histoire » (n°15). Autrement dit, on ne peut véritablement être chrétien sans porter une attention sincère et active aux pauvres.

Deuxième chapitre : Dieu choisit les pauvres

Le deuxième chapitre, intitulé Dieu choisit les pauvres, expose les fondements bibliques de cette préférence divine. Pour partager les limites de notre nature humaine, Dieu lui-même s’est fait pauvre : il est né dans la chair comme nous, a connu la petitesse de la mangeoire et l’humiliation extrême de la croix.

Dans l’Ancien Testament, Dieu est présenté comme l’ami et le libérateur des pauvres, celui qui entend leur cri et intervient pour les délivrer (cf. Ps 34,7). À travers les prophètes, notamment Amos et Isaïe, Dieu dénonce avec force les injustices commises envers les plus faibles.

Ce fondement vétérotestamentaire trouve sa pleine réalisation en Jésus de Nazareth. « Jésus est la révélation de ce privilegium pauperum. Il se présente au monde non seulement comme le Messie pauvre, mais aussi comme le Messie des pauvres et pour les pauvres. » Et le pape Léon XIV d’ajouter : « L’Église, si elle veut être celle du Christ, doit être l’Église des Béatitudes, l’Église qui fait place aux petits et qui marche pauvre avec les pauvres, le lieu où les pauvres ont une place privilégiée » (n°21 ; cf. Jc 2,2-4).

Troisième chapitre : Une Église pour les pauvres

Le troisième chapitre, Une Église pour les pauvres, montre qu’en effet, depuis ses origines et de manière constante, l’Église est attentive aux pauvres. Dès les débuts du christianisme, les Apôtres imposent les mains à sept hommes choisis pour les instituer au service (diakonia) des plus démunis (cf. Ac 6,1-14). Un peu plus de deux siècles plus tard, le diacre Laurent donnera sa vie pour le service des pauvres, tout comme Étienne l’avait fait avant lui.

Les Pères de l’Église — notamment saint Ignace d’Antioche, Polycarpe de Smyrne, saint Jean Chrysostome, saint Justin, saint Augustin, saint Ambroise, entre autres — ont reconnu dans les pauvres un moyen privilégié d’accéder à Dieu, une manière particulière de le rencontrer. L’Église apparaît ainsi comme « la mère des pauvres ».

La compassion chrétienne s’est également manifestée tout au long de l’histoire dans le soin des malades et des souffrants. En ce sens, saint Jean de Dieu fonda au XVIe siècle l’Ordre des Hospitaliers qui porte son nom ; saint Camille de Lellis fonda l’Ordre des Clercs Réguliers Ministres des Infirmes ; saint Vincent de Paul créa les Filles de la Charité. Avec saint Basile et saint Benoît de Nursie, la vie monastique a montré que l’Église n’est pleinement épouse du Seigneur que lorsqu’elle est aussi sœur des pauvres. Aujourd’hui encore, les hôpitaux catholiques, les centres de soins et les structures d’accueil continuent de prendre soin de ceux qui souffrent.

Au XIIIe siècle, l’Esprit Saint donna naissance à un nouveau type de consécration dans l’Église : les Ordres mendiants. Les Franciscains, les Clarisses, les Dominicains, les Augustins, les Carmes adoptèrent, à la différence de la vie monastique, une vie itinérante, sans propriété personnelle ni communautaire, entièrement livrée à la providence. « Ils ne se limitent pas à servir les pauvres, ils se font pauvres avec eux. » Pour eux, la pauvreté n’est pas une conséquence du manque de biens, mais un libre choix : se faire petit pour accueillir les petits.

Un autre champ d’intervention de l’Église en faveur des pauvres est l’éducation. « Pour l’Église, enseigner aux pauvres est un acte de justice et de foi. » Au XVIe siècle, saint Joseph Calasanz, fondateur de l’école catholique moderne, créa à Rome la première école publique gratuite d’Europe. Au XVIIe siècle, saint Jean-Baptiste de La Salle fonda les Frères des Écoles Chrétiennes avec l’idéal d’offrir une instruction gratuite, une formation solide et un environnement fraternel. Au XIXe siècle, saint Marcellin Champagnat fonda l’Institut des Frères Maristes des Écoles. De nombreuses congrégations féminines ont également été protagonistes de cette révolution pédagogique. Et le pape Léon XIV affirme : « Pour la foi chrétienne, l’éducation des pauvres n’est pas une faveur, mais un devoir » (n°72).

L’attention aux migrants constitue un autre volet de l’action de l’Église envers les pauvres. Au XIXe siècle, saint Jean-Baptiste Scalabrini et sainte Françoise-Xavière Cabrini se distinguèrent dans la prise en charge des migrants. Aujourd’hui, ce service s’exprime à travers les centres d’accueil pour les réfugiés, les missions frontalières, les efforts de Caritas Internationalis et d’autres institutions.

Quatrième chapitre : Une histoire qui continue

Ce quatrième chapitre met en évidence la contribution de l’enseignement de l’Église. Il évoque notamment :

  • La lettre encyclique Rerum novarum de Léon XIII, qui aborde la question du travail ;
  • Mater et Magistra de Jean XXIII, qui promeut une justice à dimension mondiale ;
  • Le Concile Vatican II, à travers la Constitution pastorale Gaudium et Spes, qui réaffirme la destination universelle des biens de la terre et la fonction sociale de la propriété ;
  • Populorum progressio de Paul VI, qui insiste sur le développement intégral de l’homme ;
  • Sollicitudo rei socialis de Jean-Paul II, qui approfondit la solidarité internationale ;
  • Laborem exercens, également de Jean-Paul II, qui présente le travail humain comme une clé de la question sociale ;
  • Caritas in veritate de Benoît XVI, qui relie vérité, charité et justice dans les relations économiques.

Tous ces textes montrent que le pauvre, la veuve, l’orphelin, l’étranger, le malade et l’opprimé sont au cœur même de l’enseignement des papes et de la mission de l’Église.

Cinquième chapitre : Un défi permanent

Le cinquième chapitre conclut l’Exhortation en résumant cette histoire bimillénaire d’attention ecclésiale envers les pauvres et avec les pauvres. Il montre que cette attention fait partie intégrante du cheminement ininterrompu de l’Église.

« En tant que corps du Christ, l’Église ressent comme sa chair propre la vie des pauvres, lesquels sont une partie privilégiée du peuple en marche » (n°103). « L’option préférentielle pour les pauvres doit se traduire principalement par une attention religieuse préférentielle et prioritaire » (n°104).

Pour finir, le pape Léon XIV propose un acte concret de charité : l’aumône. Il rappelle que la meilleure aide consiste à permettre à une personne de trouver un travail, afin qu’elle puisse gagner sa vie de manière digne. Il affirme également : « L’aumône reste, entre-temps, un moment nécessaire de contact, de rencontre et d’identification à la condition d’autrui » (n°118).

Saint Jean Chrysostome disait : « L’aumône est l’aile de la prière. Si donc tu ne donnes pas une aile à ta prière, elle ne vole pas. » La Bible promet aussi des bénédictions à ceux qui donnent généreusement : « Qui fait la charité aux pauvres prête au Seigneur, qui paiera le bienfait de retour » (Pr 19,17). « Donnez, et l’on vous donnera… car de la mesure dont vous mesurez, on mesurera pour vous en retour » (Lc 6,38).

Enfin, le pape Léon XIV cite Jean-Paul II : « Dans la personne des pauvres, il y a une présence spéciale du Fils de Dieu, qui impose à l’Église une option préférentielle pour eux. »

Conclusion

L’Exhortation apostolique Dilexi te s’adresse à toute l’Église ainsi qu’aux personnes de bonne volonté, avec une interpellation particulièrement insistante à l’égard de ceux qui détiennent les biens et les richesses. À l’heure où la pauvreté pousse de nombreux jeunes du tiers monde à migrer clandestinement vers l’Europe et les Amériques, nous espérons que ce texte recevra un accueil favorable, notamment de la part de ceux qui exercent, d’une manière ou d’une autre, un pouvoir politique ou économique.

Il est urgent que la destination universelle des biens devienne une réalité sur toute la surface de la terre, et que l’option préférentielle pour les pauvres anime véritablement l’Église et le monde entier. L’accueil de cette Exhortation pourrait contribuer à l’éradication de fléaux tels que la guerre, l’exclusion et même les crises écologiques.

Philippe Tchimtchoua

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