
MEMOIRE D’UNE MISSION DANS LE NORD-CAMEROUN
« Allez dire à toutes les nations, les merveilles de Dieu » (ps 95)
Le 14 septembre 1955, le diocèse de Garoua était officiellement érigé, marquant une étape décisive dans l’histoire de l’Église catholique au Nord-Cameroun. Soixante-dix ans plus tard, cette Église locale célèbre son jubilé de platine, non seulement comme un anniversaire, mais comme une mémoire vivante de la foi semée, cultivée et transmise à travers les générations.
Ce jubilé, célébré le 04 octobre 2025, sera couplé à un événement tout aussi symbolique : la consécration solennelle de la cathédrale de Garoua, après près de 30 ans de travaux. Ce sanctuaire, fruit de patience, de prière et d’engagement communautaire, devient le signe visible d’une Église enracinée dans son histoire et résolument tournée vers l’avenir.
Des prémices protestantes à l’appel catholique
C’est en 1841, sur l’île de Fernando Pôo, que les premiers missionnaires protestants de la Baptist Missionary Society de Londres posent le pied en Afrique centrale. Leur influence s’étend progressivement vers le littoral camerounais, notamment grâce à Alfred Saker, qui publie en 1862 le Nouveau Testament en langue Douala, une avancée majeure pour la diffusion de l’Évangile.
Mais du côté catholique, les premiers efforts restent infructueux. En 1882, deux Polonais établis à Bota, près de Victoria — MM. Rogozinski et Janikowski — tentent d’attirer des missionnaires jésuites depuis Fernando Pôo et sollicitent l’évêque du Gabon. Le projet échoue, freinant l’implantation catholique dans la région.
Les premiers pas d’une Église en terre lointaine
L’histoire d’Andrea Kwa Mbange en dit long sur les débuts de l’Église catholique au Cameroun. Envoyé en Allemagne en 1888 pour apprendre le métier de boulanger, il finit par demander le baptême et le reçoit le 6 janvier 1889. Il deviendra par la suite un acteur clé de l’expansion du catholicisme au Cameroun, en tant que catéchiste, traducteur et témoin vivant de la foi chrétienne au sein de sa communauté.
L’Évangélisation du Cameroun débute officiellement en 1890 avec l’érection de la Préfecture apostolique du Cameroun, confiée à la Pieuse Société Missionnaire des Pallottins. Le père Heinrich Vieter, nommé préfet apostolique avant même d’avoir foulé le sol camerounais, en devient le premier pasteur. En 1905, la Préfecture est élevée au rang de Vicariat apostolique, toujours sous sa direction.
Mais dans le Nord, l’Église catholique arrive bien plus tard. Cette région, longtemps rattachée à la Préfecture apostolique du Soudan, ne conserve que peu de traces des missionnaires Comboniens censés y œuvrer. Elle sera ensuite intégrée à la Préfecture de l’Adamaoua (1914), puis à celle de Foumban (1923), qui englobait alors le Nord-Cameroun, Bonabéri, Dschang et une partie du Tchad.
Les prémices d’une présence catholique
En 1932, Mgr Paul Bouque et le père Joseph Bernard effectuent une tournée de reconnaissance dans le Nord-Cameroun. Si cette mission semble sans effet immédiat, les registres témoignent de baptêmes réalisés par le père Bernard à Nkol-Bives. En 1939, le père Télesphore Sourie baptise les trente premiers chrétiens de Yagoua, mais la Seconde Guerre mondiale interrompt brutalement l’évangélisation. Le père Lequeux assure néanmoins une présence continue entre 1939 et 1946, maintenant la flamme de la foi dans le Grand-Nord.
L’arrivée des pionniers : les Oblats de Marie Immaculée
Le tournant décisif survient en novembre 1946, avec l’arrivée de seize missionnaires Oblats de Marie Immaculée (OMI), sous la houlette de Mgr Yves Plumey. Ces hommes vont marquer profondément l’histoire religieuse du Nord-Cameroun et du Mayo-Kebbi au Tchad. Le 9 janvier 1947, la Préfecture apostolique de Garoua est créée, confiée à Mgr Yves Plumey. Elle s’étend de Bankim à Fort-Foureau (Kousséri), incluant une partie du Tchad.
En 1953, Garoua devient Vicariat apostolique, puis diocèse en 1955, aux côtés de Douala, Doumé, Nkongsamba et Yaoundé. Mgr Plumey, infatigable pasteur, parcourt ce vaste territoire pendant quarante ans, semant les graines d’une Église locale forte et dynamique.
L’éclatement territorial et la croissance
L’expansion de l’Église catholique dans le Nord-Cameroun s’accompagne d’une structuration progressive : 1956 : Création de la Préfecture apostolique de Pala, confiée au père Honoré Jouneaux ; 1968 : Naissance des Préfectures apostoliques de Maroua-Mokolo et Yagoua, confiées respectivement à Mgr Jacques de Bernon et Mgr Louis Charpenet ; 1973 : Ces deux entités deviennent diocèses ; 1982 : Garoua est élevé au rang d’Archidiocèse, en même temps que Douala et Bamenda ; 1982 (novembre) : Création du diocèse de N’Gaoundéré, avec Mgr Jean Pasquier comme premier évêque.
Le temps des héritiers
Mgr Christian Tumi succède à Mgr Plumey en 1984. Quatre ans plus tard, il devient le premier cardinal de l’histoire du Cameroun, une reconnaissance internationale de son engagement pastoral. En 1992, Mgr Antoine Ntalou prend la relève à Garoua, avant d’être remplacé en 2016 par Mgr Faustin Ambassa Ndjodo, quatrième archevêque de Garoua.
Diocèse de Yagoua
Le diocèse de Yagoua a vu son premier préfet apostolique en la personne du Père Louis Charpenet, qui a servi de 1968 à 1973. Il fut ensuite nommé évêque et continua son ministère jusqu’en 1977. Mgr Christian Tumi lui succéda de 1979 à 1982, avant de céder la place à Mgr Antoine Ntalou, évêque de 1982 à 1992. Mgr Emmanuel Bushu prit le relais jusqu’en 2006. Depuis 2007, Mgr Barthélemy Yaouda Hourgo assure la direction du diocèse, d’abord comme administrateur, puis comme évêque.
Diocèse de Maroua-Mokolo
Le diocèse de Maroua-Mokolo fut dirigé par le Père Jacques de Bernon en tant que préfet apostolique de 1968 à 1973, avant qu’il ne devienne évêque jusqu’en 1994. Mgr Philippe Stevens lui succéda et exerça son ministère pendant près de deux décennies, de 1995 à 2014. Depuis cette date, Mgr Bruno Ateba Edo est à la tête du diocèse, poursuivant l’œuvre pastorale dans la région.
Diocèse de N’Gaoundéré
Le diocèse de N’Gaoundéré a été fondé sous la direction de Mgr Jean-Marie Pasquier, qui fut évêque de 1982 à 2000. Il fut suivi par Mgr Joseph Djida, en poste de 2001 à 2015. Depuis 2016, Mgr Emmanuel Abbo est le pasteur en charge, poursuivant la mission spirituelle et pastorale dans cette partie du Cameroun.
L’apport des congrégations religieuses
Le 30 mars 1954, les Filles du Saint-Esprit arrivent pour la première fois à Maroua, s’installant à Doukoula, puis à Yagoua et Lam en 1955. La mission, placée sous le patronage de Notre-Dame de Lourdes, est dirigée par le Père Bevé, OMI, assisté du Père Le Calvé, qui se consacre aux postes de brousse. Elles s’installeront ensuite à Lara (1955), Maroua-Djarengol (1958), et Kaélé (1962), contribuant à l’éducation, à la santé et à la pastorale locale.
En 1956, la communauté des sœurs du Sacré-Cœur de Jésus de Saint-Jacut s’installe à Fignolé et vont aussi intervenir à Poli dans la pastorale. Deux ans après (1958), la même congrégation des sœurs de Fignolé ouvre une nouvelle communauté à Garoua. Six religieuses arrivent à Garoua pour l’école ménagère, l’école primaire, l’hôpital et évidement pour la catéchèse.
La congrégation des filles de Marie de Yaoundé en 1962 viendra elle aussi ouvrir sa première communauté à Guider et envoie trois sœurs qui vont apporter leur contribution à cette mission. Plusieurs autres congrégations religieuses masculines et féminines vont suivre.
Une Église, une famille
À travers les pages de son histoire, des premiers pas des missionnaires pallottins aux grandes missions des Oblats de Marie Immaculée, de l’évangélisation pionnière à la structuration des diocèses voisins (Yagoua, Maroua-Mokolo, N’Gaoundéré), l’Église de Garoua a su conjuguer fidélité et audace. Le jubilé de platine et la consécration de l’église cathédrale sont l’occasion de rendre grâce pour les pasteurs, les religieux, les religieuses, les laïcs et les communautés qui ont bâti cette Église, pierre après pierre, prière après prière.
Par Philippe TCHIMTCHOUA
Sources
- Archives diocésaines de Garoua
- Yves Plumey, o.m.i., Mission Tchad-Cameroun : l’annonce de l’Évangile au Nord-Cameroun et au Mayo-Kebbi (1946–1986), Oblates, janvier 1990
- P. Savino Palermo, SCJ, Cent ans d’évangélisation au Cameroun, Médiaspaul, 2007
- Missionnaires Oblats de Marie Immaculée du Cameroun-Garoua, Mgr Yves Plumey, Père fondateur de l’Église au Nord-Cameroun et au Mayo-Kebbi au Tchad, Tirvit, 2019
- https://www.fillesstesprit.org/cameroun-70-ans-de-presence-des-fse/
- https://catholic-hierarchy.org/diocese/dngao.html
- https://fr.wikipedia.org/wiki/